DE QUOI MACRON EST-IL LE NOM ?

 

Si Emmanuel Macron , fils de neurologue et gendre idéal se félicite d’avoir rompu les clivages droites gauches, c’est qu’il n’a jamais été bégueule. De la commission des finances à la banque d’affaire Rotschild, en passant par le ministère des finances, notre technocrate averti n’a jamais cessé de défendre les mêmes cré-neaux : la puissance de l’argent d’une part, et le soutien actif de l’Etat à celle-ci. 

Si la gauche, comme dans bien des circonstances historiques, et comme ces 5 dernières années, sert à soutenir des attaques décisives contre les plus pauvres, Manu, comme le nom-ment ses amis grands patrons ou journalistes, s’y associe sans complexe. 

Ce que le parcours de Macron confirme, ce sont les porosités qui ne manquent pas d’exister entre les politiciens et les politiciennes, les technocrates et le patronat. 

Si il y a bien un domaine sur lequel Macron est reconnaissant à l’Etat c’est bien sa dimension sécuritaire. Il était du gouvernement qui, d’Etat d’urgence en sur-armement d’une police qui montre son véritable visage ces dernières semaines, n’a eu de cesse de nous imposer de marcher au pas derrière le capital et l’Etat. 

Bref, Macron n’est qu’un symptôme d’un meilleur des mondes, non pas plus désirable, mais juste gouverné par le peur de l’abime. 

Et comme tout symptôme, ce n’est pas tant lui qui est à combattre, que la maladie qui en est à l’origine : l’idée que ce monde pourrait être changé par les urnes. Pourtant, de mémoire, jamais un meeting politique, ni aucune élection n'ont mis en branle quoi que ce soit de subversif. Les échéances électorales n’ont jamais rien offert d’autres qu’enterrer les espoirs de ceux et celles qui y ont crus. Alors que les vendeurs de rêve nous présentent l’élection comme antidote face à une situation sociale, politique et économique qui n'a pas fini de nous bouffer la vie, elle ne nous laisse en fait le choix qu'entre diverses formes alternantes de gestion de la domination et de l'exploitation. En somme, le changement dans le statu quo. Et, sur fond d'état d'urgence qui devient un mode de gouvernance social quotidien, ce que vise en dernière instance ce processus c'est de nous la boucler toujours plus, en imposant le consensus et la paix sociale alors que tout a déjà failli. 

Face à cette impasse, nous organisons pour notre part « La grève des électeurs et des électrices », et commençons dès aujourd’hui à nous organiser par nous-mêmes et par la lutte face à ce système.

 

L’assemblée autonome - « la grève des électeurs et des électrices, » 

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LA GREVE DES ELECTEURS ET DES ELECTRICES. 

 

 

L ES ÉCHÉANCES ÉLECTORALES N'ONT PAS FINI DE NOUS ENTERRER.

 

Ce qui était déjà perceptible au printemps dernier via les manoeuvres aussi rapaces que ridicules de quelques politiciens lors des récentes oppositions à la loi travail et son immonde. Mais, de mémoire, jamais un meeting politique, ni aucune élection n'ont mis en branle quoi que ce soit : et ce sont mine de rien et avec parfois des accents contestataires qui sonnent très faux autant de manoeuvres pour ramener le "troupeau" dans le giron du pouvoir. 

L'élection serait en effet l'antidote face à une situation sociale, politique et économique qui n'a pas fini de nous bouffer la vie. Nous n'aurions le choix qu'entre diverses formes alternantes de gestion (durable) de la domination et de l'exploitation : l'une par sa gauche, l'autre par sa droite. Quant aux coups de men-ton des anti système de service “ni droite ni gauche“, il ne faut pas oublier qu'ils et elles appartiennent aux couches les plus intégrées de la société, leurs discours et leurs promesses n'engagent que celles et ceux qui les écoutent. En somme, le changement dans le statu quo. 

Et, sur fond d'état d'urgence qui devient un mode de gouvernance social normal, ce que vise en dernière instance ce processus c'est de nous la boucler toujours plus, en imposant le consensus et la paix sociale alors que tout a déjà failli. C'est une nouvelle élection qui donne le coup de sifflet final et arrive à la bonne heure au lendemain d'un mouvement social au terme duquel le pouvoir socialiste n'a pas cillé, donnant au passage une puissance relativement inédite à l'appareil d'Etat, sans concéder la moindre queue de cerise. 

Et à la gauche de la gauche, le constat n'est guère plus réjouissant : des jeunes et des vieux loups de la politique se partagent le soin de nous proposer, véritable oxymore, l'insurrection citoyenne par les urnes . A titre d'exemples, de telles levées de rideau de fumée ont déjà eu lieu non loin d'ici : les “volte-faces” des gauches radicales en vue en Grèce comme en Espagne, une fois ces dernières au pouvoir (répression des grèves, expulsions de migrants, expulsions de squats, etc.) ne sont ni des accidents ni des trahisons, mais plutôt les prolongements politiques de logiques alternatives qui font finalement bonne réception à l'ordre des choses étatique et capitaliste. 

Et ici, on ne manque déjà pas, à titre de repoussoir, d'agiter l'épouvantail, certes peu ragoûtant, de l'extrême droite : cela devrait suffire à persuader les plus rétifs de céder sur le refus du vote et de l'adhésion au pouvoir. C'est d’un chantage dont il s'agit en réalité. Chantage qui devrait faire le lit de Procuste à un énième front républicain. Etrange imposture que celle-là : on voudrait nous faire croire que la lutte contre l'extrême droite s'opère par les urnes. Ce qui serait simplement comique si cela n'avait effectivement dans les faits des conséquences catastrophiques, parce que beaucoup d'idées et de mesures prises à droite comme à gauche, et que ne renieraient pas l'extrême droite, ont pu s'épanouir ces dernières années : lois de sécurités quotidiennes, constructions de nouvelles prisons, contrôle accru des populations cibles immigrées, proposition de déchéance de nationalité, etc. 

Et c'est également oublier un peu vite que l'état a toujours occupé une position privilégiée dans le processus d'assimilation des idées fascisantes. Et, l'expérience simple indique qu'il est possible de se passer de l'Etat, des partis et des représentations de tout poil en privilégiant la lutte et l'action directe. Même si elles n'obtiennent parfois que des succès relatifs, et malgré les coups de boutoirs de la ré-pression, de la collaboration active des partis, des syndicats et des représentants de tout poil, il n'en reste pas moins que les liens qui s’y tissent, l'élaboration collective qui y président, la transformation des individu-e-s qu'elles suscitent, et les moments libérés des carcans institutionnels qu'elles dégagent portent en germe des promesses d'émancipation que rien ne saurait jamais remplacer.

 

Ni élection, ni piège à con ! 

 

SOYONS INGOUVERNABLES ! 

 

 C'est par ce slogan que nous pourrions faire nôtre, que tente de se propager un mouvement de perturbation de la campagne présidentielle. Si nous nous sentons ingouvernables, et entendons nous opposer à cette campagne, ce n'est pourtant pas au nom de la même ingouvernabilité que ceux et celles qui ont pris le parti de le lancer. A la suite de la tradition anarchiste et anti-autoritaire, c'est bien le pouvoir, la représentation et les formes de lutte indirectes que nous souhaitons anéantir. Les ingouvernables ne visent quant à eux et elles qu'à destituer le pouvoir actuel. Mais sans préciser ce qu'ils et elles entendent lui substituer. 

Le week-end de rencontres "Génération ingouvernable" organisé à Paris le 28 et 29 janvier dernier a sonné le point de ralliement. A la suite d'A l'abordage, campagne contre l'université d'été du PS à Nantes annulée par crainte de relancer l'opposition à la loi travail, et Les élections n'auront pas lieu qui lui a fait suite, ces rencontres ont réunis communistes sans Partis, nuit-deboutistes, Insurrectionna-listes qui viennent, des militants et des militantes du NPA ou du Front de gauche, quelques Négristes, et quelques libertaires. Dès l'origine, le font de l'air est indé-niablement rouge. Comme dirait l'autre : "Ca sent la grisaille soviétique retouchée à photoshop". Que ressort-il de l'appel initial ? Qu'une génération est en marche. Elle regrouperait pêle-mêle, les occupants et occupantes de la ZAD, les manifestant-e-s des cortège de tête, les animateurs et animatrices de lieux occupés. Cet appel entend dès son origine représenter un ensemble d'expérimentations et de luttes en cours ou achevées. A la classe de jadis, se substitut la Génération et le Mouvement, et au Parti, des rencontres et l’activation de réseaux. Mais c’est bel et bien sur le front de la représentation que ne manquent pas de s’orienter ces rencontres 

C’est d’une génération que l’on vante les mérites et le commun. Etrange génération pourtant que celle dans laquelle quelques vieux briscards et vieilles bris-cardes d'entre nous croisent de vieux visages connus ou inconnus. Mais pour ces publicitaires l'important n'est pas tant la vérité que toucher le coeur de cible. De-puis le terme génération a été mis de côté, sans doute sous l'impulsion des communistes, en mal de lutte des classes. Mais ce qui est toujours là, c’est bien davantage la volonté de propager le chaos, que de vivre l’insoumission. 

Comment fonctionnent ces ingouvernables ? Tout cela reste flou. Des rencontres, des comités ou des assemblées locales, un Facebook pour recenser les activités. Nous sommes ainsi, activistes, assemblées de lutte, collectifs, lieux occupés ou loués, appelés à soutenir les ingouvernables, à envoyer nos compte-rendu d'activités, le tout sans nul doute animé par cette fameuse intelligence collective qui est au nouveau mouvement radical, ce que la main invisible est à l'économie : la promesse d'une bonne claque dans la gueule ! En clair, on nous demande, dans cette novlangue si orwellienne, de devenir des ingouvernables gouvernés, mû par un état major invisible et insaisissable. Or pour notre part nous n'entendons pas plus accepter d'être gouvernés par des politiciens et des politiciennes professionnels qui se succèdent sur les plateaux télé en tant d’élection que par des managers de lutte

Parce que pour nombre d'ingouvernables le rapport au pouvoir et la représen-tation est plus qu'ambivalent. Pour certains, comme certains et certaines insur-rectionnalistes qui viennent, élu-e-s des « territoires qu’ils et elles habitent », jeudi ça peut être sbeule, et le lundi Conseil Municipal. Pour d'autres, voter ou ne pas voter, n’est pas la question, et l’est d'autant moins que certains et certaines annon-cent déjà qu'ils iront porter leur tribu pour faire barrage à un ou une Trump à la française. 

Caen ingouvernable n'est pas en reste. Tout d'abord en acceptant de répondre à cet appel à enrôlement. Ensuite en acceptant de reproduire le même flou artis-tique : "Si nous sommes en mesure de déléguer le pouvoir, d’être gouverné-e-s, nous ne sommes pas que cela. Nous sommes également ingouvernables." Tout vise à maintenir la même composition susceptible d’unir du NPA au RRC en passant par les syndicalistes de lutte. Le samedi c'est tentative de sbeule, le lundi collage électorale ou participation au CA de la fac. Ce qu'il faut rendre ingouvernable c'est bien davantage la situation que son rapport au monde. Ce qui est attaqué, ce n'est pas le pouvoir et la délégation en tant que tels, mais le fait de ne pas le détenir. Quant à vo-ter ou ne pas voter c'est d'autant moins la question qu'elle pourrait conduire à diviser les troupes, et que c'est des troupes qui sont recherchées.

 

POUR NOTRE PART NOUS N'ATTENDONS PLUS RIEN DE CE NÉANT.

 

C'est à partir d'une toute autre position, moins portée par des visées stratégiques et politiques que par une éthique révolutionnaire que nous appelons à perturber le jeu électoral. Il nous semble important d'affirmer une présence commune qui vise à saper le rap-port au pouvoir et à la représentation, tant dans nos vies quotidiennes que dans nos luttes, et d'insuffler un autre souffle à cette période. 

Nous ne visons pas plus la destitution du pouvoir car nous ne souhaitons pas nous y incarner du tout, nous visons juste sa destruction. Cette période électorale est donc pour nous l'occasion d'articuler l'anti électoralisme et l'incarnation d'un tel refus via une capacité d'intervention autonome à travers des initiatives variées telles que par exemple la perturbation des campagnes et des permanences électo-rales, l'organisation de concerts de soutien à l'abstention, etc. Il est temps de fédé-rer les énergies car il y en a. Cet appel à contrecarrer cette mascarade électorale, mais pas que, nous l'espérons le plus contagieux et le plus extensif possible. Parce qu'aucune élection ne saurait jamais consommer notre soif de liberté même dans le meilleur des mondes ! 

C’est dans cette optique et avec ces visées nous vous invitons donc le vendredi 23 février à 18 h à la Pétroleuse (163 cours Cafarelli à Caen) pour en causer et nous organiser ! 

 

L'Assemblée autonome*

Caen , février 2017. 

assembleeautonome.caen@riseup.net 

 

 

 

* L'Assemblée Autonome se veut un espace d'échanges et de discussions, où peuvent se proposer des réflexions, des infos et se coor-donner des activités entre différentes personnes participant parfois à d'autres collectifs et initiatives. Espace permettant que se construisent des luttes, il peut également se préparer durant l'assemblée et en son nom des interventions publiques et actions collectives, même si ce n'est pas sa vocation première. Elle se veut ainsi une force sociale et poli-tique autonome contre l'ordre existant. 


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L’alternance gauche/droite :

il faut bien que ça serve à quelque chose…

 

L’objet de ce texte n’est pas de dresser une énième liste des méfaits des pouvoirs successifs de gauche ou de droite, mais plutôt la mise en lumière du bénéfice que peut tirer le capitalisme des alternances politiques.

En effet, ne sortiront vainqueurs du futur scrutin présidentiel que le chef de l’Etat fraîchement élu… et le capitalisme. Ce dernier, sorte d’hydre poly-céphale, se satisfait de la social-démocratie comme du conservatisme ; mieux encore, la succession de ces deux options politiques au pouvoir lui permet une relative stabilité (aussi bien dans son fonctionnement propre que dans la gestion du mécontentement qu’il génère). La gauche et la droite ont des positions divergentes mais non contradictoires à propos des taux de pressurage, de redistribution, des échanges… Il en sort néanmoins un lieu commun : la défense des intérêts de la classe possédantes et du système d’exploitation de l’homme par l’homme. Voyons maintenant quelles sont les tâches distinctes des gouvernements « conservateurs » et « progressistes » dans la pérennisation du système.

Le rôle de la droite est d’être utilisée comme le bras politique de la bourgeoisie. C’est elle qui couche sur papier (et de manière très légale !) les aspirations à plus de libéralisme, d’exploitation, de plus-value… et par là même contente les confrères de classe. La droite attaque frontalement et sans complexe le droit du travail, les libertés individuelles et collectives, etc (elle nous l’a montré récemment). En tant que servante d’une certaine frange de la population, elle ne s’encombre pas d’un pseudo « intérêt général » souvent invoqué par la gauche et dévoile sans fausse pudeur ses muscles lorsque le patronat le lui ordonne. Bref, la droite fait preuve de brutalité et d’opiniâtreté : elle peut y aller franco selon les bons vouloirs de la conjoncture économique, jusqu’à ce que la désapprobation populaire se fasse sentir.

Et c’est à ce moment précis que les « progressistes » arrivent à la rescousse du capital. Car la fonction de la gauche réside dans le fait de pacifier les tensions sociales occasionnées par les assauts de la droite. La bourgeoisie est donc prête à concéder une période de social-démocratie « policée et pragmatique » afin d’abreuver la plèbe de discours démagogiques et rassurants. Alors, on tente de nous faire croire à d’hypothétiques bricolages théoriques ayant chacun une importance salvatrice quant au sort des petites gens. Ainsi, pour reproduire le nouveau concept de la néo-gauche inoffensive qui incarne et défend un « capitalisme à visage humain », je répondrai que c’est un non-sens car le capitalisme a le visage des nantis, que cette même gauche contribue à servir. Qui plus est, les bourgeois ont investi les appareils de gôche (notamment celui du PS) et des lignes social-libérales coriaces font leur chemin sans pour autant que les porteurs de ces idées craignent une quelconque accusation pour hétérodoxie (n’était-ce pas déjà le cas à l’époque des TUC, CIP, emplois jeunes…). Ce moment de tromperie que constitue la gauche au pouvoir permet aux politiciens ventrus d’une droite obstinément anti-sociale d’échafauder les stratégies et les projets obscènes qu’ils nous imposeront une fois passée la prochaine élection suprême. Car, bien sûr, la « famille politique » au pouvoir récolte rarement les honneurs de la cité tandis que l’opposition fait ses choux gras des erreurs des dirigeants : perpétuant par là le mythe du « votez pour nous, on fera mieux ». Et ainsi de suite, retour à la case départ.

Mais ne nous y trompons pas : les partis de droite et de gauche n’ont pour fonction que de faire perdurer un système capitaliste inégalitaire et bestial. Malgré quelques petits désaccords de façade, ils sont liés par une ambition commune : servir le monstre dont seule la masse des opprimés pourra couper les sept têtes.

Rosa CNT-AIT Caen, 2007    


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LE REFORMISME EST

L’ALLIE DU CAPITALISME

 

            Le XXIème congrès de l’Association Internationale des Travailleurs s’est tenu à Madrid en décembre 2000. Un des membres de la délégation de la CNT-AIT, section française, livre ci-dessous, un aperçu des travaux.

            Les échanges, tactiques, théoriques, doctrinaux furent riches et variés. Mais aucun principe n’a de valeur sans sa pratique. Nos structures ne peuvent exister sans la logistique gratuite fournie par la militance et rien ne peut se faire sans l’action discrète et généreuse des militants. Nous savons le travail, l’énergie nécessaire à la vie de nos structures. Nos adversaires s’étonnent qu’avec peu de moyens financiers nous soyons capables de produire autant. C’est qu’ils ignorent le bénévolat, habitués qu’ils sont à payer ce type d’activité. Permanents, subventions, salariés introduisent des rapports d’argent et non des rapports militants. Les partis, syndicats, associations de ce type ressemblent plus à des entreprises, des prestataires de services, qui nécessitent beaucoup d’argent pour peu d’efficacité.                                                                                                                                          

            Un congrès de l’AIT serait très coûteux si l’AIT, abandonnant son éthique, évoluait vers les subventions, les permanents, etc. Combien de militants et militantes comme chacun de ceux qui y ont participé feraient des milliers de kilomètres et passeraient des jours gratis pour un congrès ? Combien seraient volontaires pour les activités : tracts, banderoles, permanences, délégations, prises de notes, manifestations, vie des journaux, entretien des locaux, etc. ? Les partis et syndicats dits de gauche ont pactisé avec le patronat, l’Etat, de multiples organismes pour obtenir les finances rétribuant leur bureaucratie. Perdant toute indépendance vis-à-vis de la bourgeoisie, ils sont en difficulté pour convaincre leur base qui se rétrécit, de produire de la gratuité. Ce qui accélère leur institutionnalisation.      

            Une autre satisfaction que permettent les congrès, c’est la rencontre directe et personnelle des compagnons. Ces contacts sont importants humainement, face à nos réalités existentielles, nos espoirs et désespoirs, nos dégoûts et enthousiasmes, nos rêves et réalités avec toutes les problématiques de la vie que nous appréhendons avec notre éthique.                                                                                                                      La fatigue, le temps, le barrage de l’idiome compliquent le dialogue de regrets, car on aurait voulu pouvoir échanger davantage avec les autres que l’on croise.                                                                    Reste un regard, un geste, un sourire, une attitude qui confirment l’appartenance à cette même humanité et cela réconforte. Notre chemin est difficile mais c’est celui de l’honnêteté, de la clarté, du courage, et de l’anarchosyndicalisme. Mais peut-on réellement utiliser autre chose dans la lutte anti-capitaliste ?                            

            Les faits sont irréfutables : la gauche et la droite sont coalisées pour exploiter, elles ont la haine de l’égalité. Nous, nous sommes de cette humanité qui ne se tait, ne se soumet, n’exploite, n’humilie pas. Nous avons notre rêve de liberté, d’égalité, de fraternité. Pour cela, on nous a réprimés, calomniés, diffamés, licenciés, emprisonnés, torturés, exilés ... pour que nos idées ne deviennent pas celles de tous les opprimés. Notre tâche est dure, nous ne nions pas les difficultés de l’entreprise. Mais que ce soit pour s’en effrayer ou pour s’en réjouir, beaucoup constatent le retour, le maintien ou la résurgence de l’anarchosyndicalisme, certains tentent même de manipuler ses idées-forces. Pendant ce congrès de l’AIT, je nous sentais lucides, tranquilles, déterminés, et cela se sent partout dans le monde où nous sommes présents.                                                                                           Un congrès comme celui de l’AIT se caractérise par un foisonnement d’idées et d’expériences de femmes et d’hommes venus de tous les coins du monde. Une bonne part des échanges, formels ou informels, a été consacrés à l’analyse du système. Voici un résumé de ce qui s’y est dit.                                               

            L’économie se fait sur le mode capitaliste à dominante fordiste. L’Homme est réduit à une marchandise (la force de travail) qui se loue et se rétribue sous forme de salaire (salariat). Pour produire des objets, biens ou services qui s’échangent par la vente (marchandise) selon l’offre et la demande (économie de marché). L’objectif étant de dégager des profits, ou plus-values, pour permettre les revenus des propriétaires des structures économiques (patrons, actionnaires). Pour maintenir ou augmenter les parts de marché et la plus-value, les capitalistes utilisent principalement les méthodes suivantes. La fusion des structures économiques dans des ensembles plus vastes, pour réduire les coûts d’exploitation, licencier, etc. La réduction de la masse salariale, constituée par l’ensemble des salaires versés et des prélèvements obligatoires. La réduction de la pression fiscale, y compris sur les salaires, ce qui induit une baisse du salaire indirect, donc des aides sociales. La réduction de la qualité des produits et marchandises qu’il faut changer souvent, quand ils ne sont pas tout simplement dangereux ou nocifs. L’augmentation du travail produit par les salariés c’est-à-dire de la charge de travail. La mise en concurrence des salariés par la délocalisation, la précarité, la flexibilité, le chômage, dont la crainte limite les revendications salariales. Résultat : dégradation des conditions de revenu, de la santé physique et psychologique de beaucoup de personnes, croissance des inégalités sociales, sans parler des guerres et violences. Pourtant le rapport PIB/nombre d’habitants en dit long sur les revenus disponibles par personne.                   

            Au niveau idéologique, le système développe un individualisme associé au grégarisme, les théories de l’innéisme des compétences, de la sociobiologie et du darwinisme social. Sur le plan social, c’est la prédominance de l’individualisme, des inégalités, de l’utilitarisme, du système pyramidal et hiérarchique, de la réification de la personne par les rapports marchands, du consumérisme et mercantilisme, de la privatisation du patrimoine collectif et de la croissance de la propriété privée, et bien sûr de la division de la société en classes [1].          

            Au niveau politique, toute société humaine est culturelle : elle se gère, s’administre selon certains critères environnementaux, idéologiques ... Le mode d’organisation politique, le type de structure, le régime, l’ensemble du système socio-économique ; l’un s’explique par l’autre. Ils sont imbriqués, s’auto-structurent, sont concomitants. L’idéologie générale d’une société se vérifie dans son idéologie politique ; celle de nos sociétés, c’est l’étatisme. Ce n’est pas un hasard, toute société inégalitaire (esclavage, salariat) doit réprimer, mater, domestiquer les conflits sociaux. L’Etat est apparu comme le meilleur outil pour cet usage, capable d’unir les oppresseurs par delà leurs divisions pour faire perdurer leur pouvoir. Quelle que soit son histoire et ses prérogatives, l’Etat moderne se présente comme l’incarnation de l’intérêt général, de la chose publique. Il est la source du droit, des lois, de la coercition, des guerres. Il est agent économique (fiscalité, monnaie), voire propriétaire (étatisation, nationalisation), agent de vecteur idéologique (éducation, code civil), administrateur (fonction publique).                                               

            Son fondement est la communauté (peuple, nation, cité) ; il est régalien. Suivant les nécessités et les rapports de force, son régime sera parlementaire, dictatorial, ou oligarchique. On voit l’intérêt pour une couche sociale à vocation oppressive de créer, développer, instrumentaliser l’Etat.                                                                    

            Nos sociétés sont bien la résultante d’un mode économique (le capitalisme), d’un mode d’organisation politique (l’étatisme), d’un mode de pensée (les idéologies inégalitaires). La fusion des systèmes (politique, de production et idéologique) a abouti à une société globale que l’on peut définir comme bourgeoise et capitaliste.           

En matière de choix et tactique politique, l’opprimé peut choisir de détruire le système, du dehors ou bien du dedans, de le faire évoluer ou de le réformer. Le mouvement prolétarien s’est divisé sur la question de l’Etat. D’un côté, ceux ne voulant que limiter les effets des inégalités et ceux qui pensent que l’Etat peut réaliser l’égalité, de l’autre, ceux qui veulent détruire immédiatement l’Etat pour établir le communisme libre. Une fraction dite éclairée et moderniste de la bourgeoisie, a compris que le réformisme, par son rôle idéologiquement intégrateur et pacificateur, permettait de maintenir facilement le système. Voyons comment cela se passe.

            1 -        Par le suffrage universel ou catégoriel, l’élection des représentants dans les structures politiques, voire sociales et économiques, la bourgeoisie fait sanctifier l’exploitation par l’élection et se disculpe de son oppression. La loi étant sensée venir du peuple, toute critique devient anti-démocratique, voire dirigée contre le peuple, et on pourra réprimer en toute bonne conscience.

            2 -        Les réformistes, pour être éligibles, ne doivent pas enfreindre le cadre légal et constitutionnel forgé par la bourgeoisie (prémices de la pacification et de l’intégration au cadre légal). La bourgeoisie lâchera quelques menus avantages aux élus, pour séduire l’électeur, et créditer la tactique réformiste (début de la collaboration et du partenariat).

            3 -        Les réformistes doivent défendre le parlementarisme et l’État.. L’État, selon eux, serait neutre ou arbitre, donc juste, ou bien encore et tout au contraire, utile pour faire du social, redistribuer les richesses. Il pourrait même être progressiste et il deviendrait alors l’État prolétarien contrôlé par les travailleurs. L’impasse est faite sur l’origine et la fonction de l’État comme outil d’oppression. Dans nos démocraties, les prolétaires peuvent-ils constituer une majorité électorale, vues les couches sociales intermédiaires dites classes moyennes, les divergences entretenues par le corporatisme et les diverses tendances du réformisme ?

            4 -        Les salariés, quand ils croient au parlementarisme, s’écartent des révolutionnaires en fondant leur espoir sur la prochaine élection. Pendant ce temps, ils restent corvéables, exploitables et divisés.

            5 -        Les organisations politico-syndicales de gauche, pour obtenir le plus de voix et d’élus, combattent les révolutionnaires et les anti-parlementaristes. La bourgeoisie est heureuse que l’attaque contre le radicalisme des salariés vienne des structures de gauche, ce qui accélère les divisions des travailleurs.

            6 -        La bourgeoisie va accroître les moyens et les pouvoirs des réformistes : subventions, heures de détachement ou heures syndicales, locaux, indemnités de fonctionnement et de formation, remboursements très généreux de frais de toutes sortes, etc. En fondant l’attribution des moyens sur la représentativité électorale, on élimine toute organisation anti-parlementaire, voire celle favorable aux élection mais trop petite. On les prive des moyens logistiques et de certains droits légaux, voire on peut nier leur existence. Bref, les grosses structures se renforcent, et combattent encore plus violemment toute critique et pratique anti-électorale.

            7 -        Le lobby réformiste est puissant, représenté par les syndicats institutionnels dans les lieux de travail et les structures qui en découlent. Il conforte son influence par les partis, dans les parlements ou structures équivalentes (locales, régionales, internationales). Il gouverne, gère ou cogère l’Etat, ses administrations et institutions, ainsi que de nombreuses caisses sociales (retraites, santé, aides sociales, chômage, mutuelles, etc.).

            8 -        Les réformistes recrutent pour leurs objectifs du personnel formé dans les écoles de la bourgeoisie. Ces individus recherchent argent et pouvoir, et concourent à embourgeoiser les structures réformistes, et à les intégrer au système social et politique adéquat. Sociologiquement, la croissance des élus, permanents, ... bureaucratise les structures qui se juxtaposent à la réalité sociale (dirigeants, cadres, subalternes). Les adhérents se taisent ou se désaffilient, n’ayant aucun poids face aux dirigeants. Ils servent de main d'œuvre gratuite.

            9 -        La corruption sévit : détournements des protections juridiques, des heures de délégations, dérogations, favoritisme, avantages, passe-droits ; chacun négocie son pouvoir pour ses intérêts personnels.

            10 -      Les ressources des partis et syndicats institutionnels proviennent majoritairement des finances publiques, les cotisations étant résiduelles. Résultat, les personnels de ces institutions sont des quasi-fonctionnaires. Elles-mêmes sont devenues, comme l’écrivait Althusser, des appareils idéologiques de l’Etat qui vendent du rêve, de l’espoir, prodiguent des grands principes humanistes pour séduire les électeurs, mais qui ont fonction d’encadrer, domestiquer, discipliner pour réprimer le prolétariat. Ce sont des outils efficaces car plus ils sont puissants, plus les inégalités se maintiennent ou croissent, plus l’oppression est subtile.

            11 -      Mais, si par le plus grand des hasards, par un accident de l’histoire, le réformisme et le cadre pseudo-démocratique du parlementarisme, devenaient une gêne, voire une menace, la bourgeoisie, fidèle à ce qu’elle est, ferait un coup d’Etat, établirait la dictature, le temps de liquider les subversifs, de mater les agités, avant de permettre le retour de la pseudo-démocratie.

            A l’inverse de ces pratiques réformistes plus ou moins voilées, l’abstention électorale, la défiance, la critique du système pseudo-démocratique ouvrent un espace critique. La lutte contre la dictature et la pseudo-démocratie nécessite une tactique, une stratégie, une doctrine. Le corpus théorique de l’anarchosyndicalisme y répond. Il doit être vulgarisé, développé pour répondre à ces exigences. J’en rappelle très brièvement pour finir quelques éléments : action directe, anti-parlementarisme, rejet du corporatisme et du nationalisme, fédéralisme, économie planifiée, communisme libertaire, égalité économique et sociale, rejet des structures hiérarchisées et bureaucratiques, etc. Pour cela, nous devons continuer à refuser de nous intégrer au système, de nous embourgeoiser, de contribuer à l’exploitation. Que chacun réfléchisse à tout cela.

 

Jean Picard, mars 2001

 

 

[1] Le fait qu’un prolétaire détienne quelques actions ne change rien à sa condition ; comme salarié, il ne peut décider ni changer l’ordre des choses. Cet actionnariat, c’est du salariat maquillé par les patrons. La bourgeoisie par contre ne se limite pas pour moi aux seuls propriétaires des structures économiques, mais incorpore les cadres dirigeants, les hauts fonctionnaires, les élus, les financiers, les bureaucrates, c’est-à-dire tous ceux qui tirent avantage en pérennisant le système social inégalitaire et capitaliste.


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LES NEO-REFORMISTES,

ETERNELS DEFENSEURS

DES INSTITUTIONS

 

            Depuis trente ans d’alternance droite-gauche, nous assistons à un recul sans précédent des libertés, du pouvoir d’achat, et des conditions de vie d’une majorité de la population. De restructuration en délocalisation, de recul de la protection sociale en paupérisation, la bourgeoisie agit. Le capitalisme, pour accroître son taux de profit, sa plus-value, attaque sans répit les salariés dans toute l’Europe. De Chirac en Jospin, de Kohl en Schröder, de Aznar en Zapatero ... ils pratiquent la même politique de régression. Le syndicalisme institutionnel, partenarial, médiationnel, accompagne les mesures anti-sociales. Le réformisme des officines politiques et syndicales a d’ailleurs atteint un tel niveau d’intégration institutionnel, qu’en complète collusion avec la bourgeoisie et le capitalisme, elles sont les chiens de garde du système.                                                                                       

            Les réformistes prétendent certes faire évoluer la société vers plus de justice et d’égalité en siégeant, grâce aux élections, dans les institutions. Nous observons que, si les électeurs ne bénéficient en rien du participationnisme, nos élus sont bien rétribués, bénéficient de privilèges et avantages divers. La Bourgeoisie (qui désormais comprend nos réformistes) connaît le rôle intégrateur des institutions. Elle sait que les financements liés au participationnisme1permettent de créer des chefferies. Les permanents et bureaucrates savent en retour que leurs revenus personnels dépendent des mandats électifs qu’eux-mêmes -ou leurs amis- obtiennent. Finalement, la seule chose qui apparaisse extraordinaire dans ce tableau brossé depuis bien longtemps, c’est que de soi-disant révolutionnaires préconisent encore l’utilisation des institutions. Ces néo-réformistes se réclament de la gauche, de l’extrême-gauche, voire, hélas, de l’anarchisme. Ces derniers sécrètent une sorte d’anarcho-réformisme diffus en entretenant, par un double discours et une rhétorique confuse, des illusions et un rideau de fumée néfaste à une bonne compréhension des enjeux.                          

            Les néo-réformistes pensent faire évoluer "de l’intérieur" les institutions vers plus de justice et de démocratie. Question : Peut-on vraiment, en participant à des structures anti-démocratiques et injustes, les transformer en leur contraire ? Ne va-t-on pas plutôt dans le sens de leur renforcement en essayant de distordre la logique institutionnelle.                                                                                                                                    

            En effet, une institution institue ; d’où son nom. Elle applique les principes consécutifs à son existence, et ne peut être contestée de l’intérieur, car dans ce cas, elle n’est plus une institution. L’histoire enseigne que la destruction et la création d’institutions n’est pas un phénomène endogène mais exogène. Il est dû au fait qu’une fraction déterminante de la population ne s’y reconnaissant plus, rejette -ou est exclue- des institutions. Usant de la pression externe (grèves, insurrections, occupations, etc.), elle défait les institutions en place et en élabore d’autres. Cela s’appelle communément un changement radical, voire une révolution. Nul ne peut contester que nos sociétés furent confrontées à des affrontements et que ces combats provoquèrent des changements profonds (quelle qu’en soit la nature).                                                                                                                      

            Les néo-réformistes veulent faire croire qu’avec les institutions actuelles ils peuvent modifier les rapports d’exploitation et d’oppression. Ils occultent une analyse à laquelle ils sont pourtant nombreux à se référer, le marxisme. Celui-ci prétend que la réalité matérielle (de nos jours, le cadre économique) détermine la superstructure (l’ordre idéologique et juridique). Par conséquent, le capitalisme induit un système social et institutionnel conforme à ses intérêts. Cela se traduit par un mode d’organisation sociale hiérarchisé, oppressif, inégalitaire et d’exploitation ; ce que l’on appelle une société de classe et bourgeoise. Nos institutions en sont leurs exactes expressions et leur usage pérennise l’ordre bourgeois. Il n’y a pas de neutralisme institutionnel.

            Les néo-réformistes désirent instrumentaliser les institutions et, par le jeu des contradictions, créer un conflit, une autonomisation, un vide, un référentiel institutionnel. Ils se croient grands tacticiens ; ils en sont de bien piètres. La bourgeoisie a prévu pareille situation. Au-dessus des institutions, il y a la loi, la constitution, l’État. Tout individu ou groupement peut être révoqué, démis, suspendu de ses fonctions. Une décision émanant d’une institution peut être annulée, si l’acte pris, si la délibération contreviennent trop gravement aux intérêts des échelons supérieurs. Que ce soit par un simple acte administratif, un jugement de tribunal, l’intervention policière -voire militaire-... tout le dispositif est prêt pour "réguler" une institution qui sortirait des rails. La décision indésirable sera qualifiée d’irrégulière, de "trouble à l’ordre public" ; on parlera si besoin d’atteinte à la sûreté de l’Etat ou on la proclamera inconstitutionnelle. C’est prévu. Le système est verrouillé. Pour renforcer ce cadre, certains pensent à déclarer "constitutionnelle" l’économie de marché, au niveau européen. Toute institution qui dérogerait au marché verrait encore plus facilement sa décision frappée de nullité.                

            Les néo-réformistes, par le jeu électoral, visent à gagner un poids déterminant dans les institutions. Ils oublient que la réalité sociale entraîne une certaine sociologie électorale. En effet, grossièrement, le corps électoral est composé, pour 20 à 25 % de la classe haute (bonne bourgeoisie), votant plutôt "à droite", pour 30 à 35 % de la classe moyenne (moyenne et petite bourgeoisie) votant plutôt pour le centre et la "gauche" modérée, et, pour 40 à 45 % par la classe basse (figurant plus ou moins la classe ouvrière) votant "à gauche". L’abstention étant très forte dans la classe basse, on voit tout de suite que les néo-réformistes pour constituer une majorité électorale doivent soit rallier des électeurs modérés, soit s’allier eux-mêmes aux partis modérés. Pour cela, ils doivent modifier leur discours et trahir les intérêts de l’électorat le plus à "gauche".                                                   

            Les néo-réformistes contestent la société actuelle. Beaucoup d’entre eux se référent au marxisme. Personnellement, j’entretiens avec le marxisme des rapports distants et ambigus. Je le trouve trop réducteur, trop mécaniste, trop simpliste. Je lui préfère l’anarchisme, qui me semble plus ample, plus complexe. Anarchiste, je partage avec le marxisme le concept de lutte des classes. C’est-à-dire que je constate que nos sociétés sont composées de classes : capitalistes/prolétaires, oppresseurs/opprimés, bourgeoisie/plèbe... Pour simplifier, nous dirons bourgeois/prolétaire. Ces deux classes entretiennent des intérêts irrémédiablement antagoniques. Le prolétariat, prenant conscience de ces intérêts, doit se constituer en classe pour soi, pour détruire le système social actuel, défaire la bourgeoisie, construire une société sans classes, c’est à dire égalitaire. Pour cela, le prolétariat doit entrer en rupture avec la bourgeoisie, rejeter toute pratique d’intégration institutionnelle, s’opposer aux organisations participationnistes. Cela s’appelle le refus de la collaboration de classe. Ce qui induit que le prolétariat s’organise indépendamment des institutions, des partis et des syndicats collaborationnistes et crée ses propres structures de lutte, que nous désignons comme la résistance populaire autonome. Force est de constater que les néo-réformistes, en valorisant les institutions par leur participation renforcent au contraire une logique de collaboration, contraire à la lutte prolétarienne et à son autonomie.

 

Un exemple parmi cent autres

 

            Le gouvernement français entendait réduire les droits des chômeurs. Courant 2004, un collectif de chômeurs, composé de libertaires, de néo-réformistes, de personnes sans lien avec un parti ou un syndicat, fut constitué localement. L’objectif était le retrait du projet gouvernemental, une meilleure protection des chômeurs. Le fonctionnement se faisait en assemblées générales. Tout alla bien jusqu’aux élections régionales. Craignant une poussée de la gauche modérée et un recul de leur électorat2, les néo-réformistes commencèrent leurs manœuvres pour obtenir des soutiens. Ils cherchèrent à discréditer les anarchosyndicalistes, à nous pousser au conflit, à nous faire porter la responsabilité d’une rupture pour pouvoir manipuler les autres membres du collectif. Leur manœuvre échouant, ils insistèrent pour que le collectif appelle à voter. Ils pensaient que l’angoisse due au recul des droits des chômeurs entraînerait un regain électoral. Les néo-réformistes stérilisaient les réunions en les centrant sur l’appel à voter. Nous expliquâmes notre point de vue libertaire et anti-électoral. Mais nous rappelions que le collectif n’avait pas à choisir entre les "anti" et les "pro" élections3, le collectif devant s’en tenir à ses revendications, seul facteur d’union. La majorité se prononça contre l’appel à voter, vécu comme anti-unitaire. Les néo-réformistes lancèrent alors des attaques personnelles et des insultes avant de quitter le collectif. Le constat est clair : en dernier recours, les néo-réformistes, par leur tactique électorale, affaiblissent les comités de lutte des opprimés.                                                                                                       

            Les néo-réformistes, pour satisfaire leur emprise électorale font l’impasse sur la critique de classe des institutions, combattent toute dévalorisation du participationnisme, condamnent l’abstentionnisme, décrient toute résistance populaire autonome. Se voulant réformateurs voire révolutionnaires ; ils évoluent vers le conservatisme. Cela devient même compulsif ! Ainsi, alors que dans un débat, à propos du slogan "grève générale" j’en expliquais l’origine, le sens, l’intérêt ... devant un auditoire très favorable, les néo-réformistes semblaient agacés. Ils m’interpellèrent discrètement : "Tu roules pour ta boutique. Vous, les anars, la grève générale, ça vous arrange, car, en cas de grève générale, les élections sont inutiles". Goguenard, je rétorquai que, "s’ils étaient contre les grèves, ils n’avaient qu’à le dire publiquement". J’ajoutais : "Vous êtes dans votre dogmatisme électoral, dans votre soif de pouvoir, dans votre perte de repères, capables de supprimer le droit de grève !".

 

Social-democratie et capitalismes nationaux

 

            Les néo-réformistes, pour ne pas se couper des gens en lutte, forgent de nouveaux slogans : "Pas de luttes directes. Pas de grèves victorieuses sans débouchés politiques (institutionnels)". Ils évoquent la grève générale de 1936, en France, qui, selon eux, fut victorieuse parce que nous avions un gouvernement de gauche issu du Front populaire. Ils se livrent là à un révisionnisme historique. Tout d’abord, le prolétariat applique la grève ni par esthétisme ni par plaisir, mais par nécessité, car il n’a pas les moyens de perdre un revenu vital. De plus, on ne fait pas grève sous un gouvernement qui vous octroie des droits nouveaux. Les grèves de 36 sont venues du fait que, ne voyant rien venir, les prolétaires contraignirent le gouvernement à lâcher des avantages. Car beaucoup de prolétaires de 36 se souvenaient que nos sociaux-démocrates s’étaient ralliés à leur capitalisme national et à son bellicisme, ce qui avait abouti en 1914 à la première guerre mondiale. Ils se rappelaient qu’en Allemagne, les sociaux-démocrates avaient fait appel à l’armée puis aux milices de l’extrême droite pour écraser l’insurrection ouvrière de 1918. Ils connaissaient l’alliance du Parti socialiste italien (PSI), incluant des dirigeants syndicaux, avec la droite, pour écraser la vague révolutionnaire et les conseils ouvriers qui étaient parvenus à contrôler les grandes entreprises. Ils avaient compris comment ces alliances participèrent à l’écrasement des révolutionnaires et antifascistes, prélude aux pouvoirs dictatoriaux et sanglants d’Hitler et de Mussolini.                                        En 1936, l’agitation ouvrière, notamment aux Etats-Unis et en Angleterre, France, Espagne, annonçait-elle un nouveau cycle révolutionnaire ? En France, beaucoup de grévistes voulurent établir, par des conseils, le contrôle ouvrier sur des entreprises. Les réformistes ne voulaient pas de révolution. Ils entendaient maintenir le système capitaliste dans le cadre bourgeois et institutionnel. Le gouvernement Blum, issu du Front populaire, céda aux grévistes et endigua la phase révolutionnaire.                                                                                           

            La théorie du nécessaire relais politique des grèves est contredite par la réalité, car de nombreuses grèves, y compris généralisées ou générales, furent victorieuses sous des gouvernements de droite, voire dictatoriaux. L’exemple de "Mai 68" atteste, que les grèves peuvent obliger un gouvernement de droite à lâcher de nombreux avantages aux grévistes. A contrario, bien des luttes, surtout depuis les années 80, ont été combattues et défaites par des gouvernements de gauche.

 

La bourgeoisie, prête a tout pour garder le pouvoir

 

            Les néo-réformistes nient une autre réalité. Admettons que les réformateurs obtiennent une majorité électorale et, conséquemment, institutionnelle, et qu’ils nuisent à la bourgeoisie. Croyez-vous que la bourgeoisie dira : "C’est la démocratie, acceptons" ? Nul doute au contraire qu’elle cherchera à créer un climat social et politique détestable, pour affaiblir les réformistes et reprendre le pouvoir aux prochaines élections. A défaut, elle se lancera dans une reconquête du pouvoir par la force. Dans tous les cas, elle en profitera au passage pour réprimer les travailleurs, les opposants. Elle établira un nouveau cadre juridique répressif pour mater la subversion ou ériger sa dictature. C’est ainsi que, depuis longtemps, à chaque fois qu’elle fut menacée, la classe privilégiée a répondu par la violence, la dictature, la répression. Les dictatures bourgeoises passées ou à venir sont des réponses politiques pour détruire les luttes des exploités. Lorsqu’il devint Président du Chili, Salvador Allende préconisa de conserver le cadre légal. Il refusa de reprendre l’armée en main et s’opposa à la création de milices populaires de défense. Il ne put rien faire quand la bourgeoisie poussa l’armée au soulèvement et installa le général Pinochet au pouvoir. En 1936, en Espagne, malgré la méfiance du prolétariat, le Front populaire est arrivé au pouvoir. Il préconisa le changement dans le respect du cadre légal en vigueur. L’armée, avec Franco, s’est alors lancée dans un soulèvement. La CNT (anarchosyndicaliste) a riposté par un appel à la résistance, aux barricades, à la bataille. Là où elle était puissante et écoutée, des prolétaires5 la rejoignirent sur les barricades. A ce moment, la symbiose de la CNT avec les masses insurgées était totale, dans un seul bloc antifasciste et révolutionnaire qui écrasa les militaires. Mais, dans d’autres régions d’Espagne, les réformistes, coincés dans le jeu institutionnel n’opposèrent pas de résistance. Certains s’enfuirent tout de suite. Grâce à ces défections, Franco prit pied pour organiser sa conquête avec l’appui de nombreux gouvernements de droite dans le monde entier. Les socialistes, Léon Blum en tête soutinrent une politique de "non-intervention" dont l’effet fut de priver les antifascistes espagnols d’une véritable aide internationale. Staline lui non plus ne voulait pas de révolution en Europe de l’Ouest, qui gênait sa politique internationale (il se préparait à signer un pacte avec les nazis, ce qui sera fait en 1939). Il craignait que la Révolution espagnole contamine le prolétariat mondial, plus particulièrement celui de France dont la classe ouvrière s’était radicalisée. Il envoya donc ses agents aider le Parti communiste espagnol. Ensemble, ils ont mené une politique d’assassinat des militants antifascistes révolutionnaires et d’attaque contre-révolutionnaire, s’en prenant en particulier aux collectivités. Malgré cette aide puissante que lui a apporté le parti communiste6, Franco mettra trois ans pour réussir à écraser la Révolution espagnole et prendre le pouvoir sur l’ensemble du territoire.

 

Une conclusion simple

 

            Ma conclusion est simple. Oubliant leur visée transformatrice initiale, les réformistes, pris dans la tactique électorale, oublient le fond car, pour eux, gagner des places dans les institutions est devenu l’essentiel. La tactique a abouti au tacticisme, détruisant toute théorie révolutionnaire. Il n’y a plus ni finalité, ni sens, ni principe. Le tacticisme n’est pas la maladie infantile ou sénile du révolutionnaire c’est sa transmutation. De facto, réformistes anciens et néo-réformistes, que ce soit discrètement, ouvertement, ou brutalement défendent les institutions. Ils s’opposent à la résistance populaire autonome, contraire à leurs buts et intérêts. Ils vont saborder toute lutte n’entrant pas dans leur conception étroite. Ils vont affaiblir toute riposte efficace aux réactions violentes de la bourgeoisie. Par-là, ils font le jeu des totalitarismes. Ils vont pérenniser les instruments de la domination bourgeoise, consolider l’appareil étatique qui servira à manipuler ou à réprimer les prolétaires, les opprimés. Combien nombreux sont, grâce à leur pouvoir institutionnel sanctifié par les élections, ceux qui pourront obtenir de bonnes places, des privilèges, des revenus ! Combien nombreux sont ceux qui deviendront des privilégiés, des notables, de bons petits bourgeois qui trahiront ceux qu’ils prétendaient défendre !          

            Les réformistes sont plutôt sociaux-démocrates, verts, voire communistes. Les néo-réformistes plutôt communistes, trotskistes, issus de divers courants d’extrême-gauche, voire de l’anarchisme. Ils se querellent entre eux, mais, rien de grave : sur le fond, ils visent les mêmes choses. Depuis quelque temps, ils sont plus nombreux à se revendiquer anarchistes, libertaires, "municipalistes", "syndicalistes"... ils tentent une manipulation théorique, historique, sémantique. Il est vrai que ces soi-disant anarchistes militent dans des syndicats réformistes - certains y sont même permanents - et préconisent la participation aux élections syndicales. Lorsqu’ils voudraient nous faire croire qu’au niveau municipal ils pourraient créer des sortes de communes autogérées, libertaires ... ils nous prennent vraiment pour des imbéciles. Nous n’oublions pas que les vrais anarchistes, les vrais révolutionnaires, visent à détruire les moyens, les entités, les structures de la domination car elles servent à empêcher la construction d’une société libre et égalitaire.

 

Jean Picard, mars 2005


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Le soutien critique du capitalisme    

           

Vendredi 13 mai, université de Caen, réunion-débat publique à propos du Contre-sommet du G8. Trente personnes et grosse déception des organisateurs, après la faible mobilisation du Premier Mai et les divers rassemblements catégoriels dégarnis, c'est la morosité parmi les promoteurs de ce genre d'activité*1. Après quelques hésitations et la projection d'un film qui débute par la critique des G20 : tout le monde est concerné, mais n'est pas à la table des débats; c'est donc un déni démocratique suivant l'intervenant. Encore un qui croit que la tare du capitalisme c'est que tous ne participent pas ; bref un capitalisme démocratique serait vachement chouette et il n'y aurait plus de misère ni d'exploitation... Suzanne George tête pensante de l'alter-mondialisme propose la socialisation des banques, mais on croit comprendre nationalisation, la confusion est-elle volontaire ou par ignorance? Ce n'est pas l'accumulation, la double sphère de circulation du capital, l'extraction de la plus-value, qui constituent le problème mais l'excès financier et bancaire. Bref pas d'explications ni de remise en cause fondamentale du capitalisme, car le but est sa moralisation.

On comprend que l'anti-capitalisme de certains consiste en un contrôle étatique de quelques instruments de ce mode économique, pour réduire les effets négatifs de son côté libéral financier. On croit ainsi combattre l'exploitation, mais c'est une illusion. Parce que l'étatisation de quelques entités économiques n'abolit pas l'exploitation propre à ces entités, et pérennise celle du capitalisme classique (propriété privée). Cette gauche anticapitaliste se veut Marxiste mais oublie ou ignore sa vulgate. C'est dans la sphère productive que le capital extrait la plus-value, cette dernière devient spéculative dans le circuit financier. Supprimer ou réguler ce circuit n'empêche pas l'exploitation ; car la plus-value se maintient et crée ou recrée les rapports appropriés du capitalisme ainsi que la rationalisation économique qui en découle (pourtant si décrié par nos anticapitalistes). Proudhon déclara que : « la propriété, c'est le vol » au sens que la propriété de structures économiques (le capital) permet l'extraction de la plus-value. Plusieurs cadres de propriété économique ont été utilisé: individuelle (le patron), collective (actionnaires, sociétaires), étatique (intégrale ou noyau dur ou minoritaire) ; ainsi que plusieurs types de concentration : manufacture, industrielle, oligopole, monopole ; plusieurs mode de gestion : entreprenariale, technocratique, bureaucratique ; plusieurs façons de produire : combinat, conglomérat, toyotisme, fordisme ; plusieurs styles de propriété sociale : en nom propre, SARL, SA, Holding, commandite ; plusieurs choix de régulation : le marché, la planification étatique, partenariat, co-gestion, marchant non marchant, public privée, protectionnisme, libre-échange. Cette liste peut être étendue mais ces quelques exemples ne sont que les variantes d'une même logique. Une grande partie des travailleurs ne récupère qu'une fraction de la valeur qu'elle a produite. Une quotité de cette valeur sert la rente des privilégiés ou les besoins du capital dans toutes ses formes. La production en son mode détermine le rapport, en se sens l'économie capitaliste extrait la plus-value par des rapports d'exploitation et d'oppression. Le contrôle étatique ou « citoyen » des banques c'est le socialisme des imbéciles, car il s'agit de domestiquer la plus-value financiarisée et spéculative pour la rendre accumulative. Ce qui revient à ne pas détruire le système capitaliste dans ses modes et rapports qui organisent le sociétal (idéologie, éthique, politique, économique, classes sociales...). Les centristes, la gauche modérée, les néo-communistes, les alters-mondialistes, l'extrême-gauche ne sont que des sociaux-démocrates qui appliquent le principe de l'alliance capital/travail. Ils prétendent inverser du capital vers le travail le ratio de valeur ajouté. Leurs divergences portent sur le niveau d'exploitation et les alliances d'une politique redistributive, pour maintenir une plus-value acceptable par le système. Nous voyons bien qu'il ne s'agit pas d'anticapitalisme, qui lui attaque sur le fond : pas de plus-value, réciprocité des valeurs d'usage et d'échange, égalité de la valeur de la force de travail, économie pour le bien commun, propriété sociale des entités économiques primordiales. Si nous ne voulons pas de rapports d'exploitation, ni d'oppression, nous devons abattre le capitalisme. La participation aux instances de concertation nationale ou internationale, c'est la démocratie des niais (discuter avec ceux qui nous oppriment).

Durant la soirée, un adhérent de la CNT fit une intervention critique sur le concept démocratique de nos anti-G8. Selon eux, le défaut de ce système politique est que tous ne sont pas consultés ou ne participent pas à la gestion de la société. Ce citoyennisme, leitmotiv de la soirée agace notre anarcho ; il rappela que patrons, capitalistes, bourgeois, banquiers... sont aussi des citoyens, et des plus actifs, et pourvus en moyens pour pratiquer l'exploitation. Il se trouve que ces gens représentent une fraction non négligeable de l'électorat. Vu les contradictions consécutives aux classes sociales, la sociologie électorale, les diverses idéologies, les intérêts antagoniques des uns et des autres, l'abstentionnisme, la démagogie des partis, les corporatismes... le parlementarisme électoral, clé de voûte de ce citoyennisme, aboutit au contrôle par la bourgeoisie des entités législatives, exécutives, administratives... Le système politique basé sur l'État démocratique et son régime parlementaire est un mensonge, car c'est le système des sociétés inégalitaires. De fait, les intérêts de classe sont antagoniques, les capitalistes sont cupides et pratiquent la rapine et les élus sont complices. Parlementer avec eux pour moraliser ce système qui ne peut l'être, est une ineptie. Les ordres idéologique, politique, économique sont liés, chacun corrobore l'autre et structure cette société. Toute structure développe sa rationalité organisatrice, la compatibilité endo et exo par syncrétisme, construit un tout. Il n'y a pas de neutralité en la matière : tout choix agence. Si la démocratie c'est le peuple souverain, la version actuelle de la participation de tous aux choses publiques induit le citoyen. Pour que chacun jouisse de ce statut, il faut l'égalité des droits et devoirs, la démocratie et donc une république de citoyens égaux. Telle n'est pas la société actuelle. La participation citoyenne aux diverses instances politiques est un leurre car elle pérennise un monde inégalitaire. En fait, il s'agit de collaborer avec l'oppresseur ou d'obtenir quelques privilèges. Reste pour justifier cela à réduire la démocratie à la liberté et pluralité d'opinions. Dans ce cas, nos citoyennistes ne devraient ni interdire, bannir, réprimer aucune opinion, ni groupe idéologique, or telle n'est pas la réalité. Si la liberté d'opinion est inaliénable en démocratie ; en faire l'axiome peut produire un paradoxe : l'action d'un discours anti-démocratique. En effet, au prétexte (souvent faux) de l’assentiment électoral majoritaire d'un discours, celui-ci est appliqué. Tant pis si cette majorité n'est pas celle de la population et si l'application contrevient au principe d'égalité. A plusieurs reprises, le suffrage universel et le parlementarisme ont plébiscité des gouvernements dictatoriaux. La démocratie est fondamentalement l'égalité, ce principe s'oppose et combat tout les systèmes d'exploitations, de dominations, d'abandons de souveraineté, délégations de pouvoir, etc. L'économie capitaliste et le parlementarisme (comme d'autre mode politique et économique) ne sont pas démocratiques mais synarchiques. Tout recours à ces ordres maintien l'illusion et l'impasse du projet démocratique. Ce projet ne peut être construit que par la lutte contre les tenants des oligarchies. Ces dernières ne seraient être consultés, ni autorisées à légiférer ce qui revient à reprendre le vieux slogan pas de démocratie pour les anti-démocrates.

Pour terminer, je renvoie au texte « Keynésianisme, social-démocratie : l'impasse ? » Anarchosyndicalisme ! mars-avril 2011 et au « Cahier de l'anarchosyndicalisme » n°46 (consultable sur le site de Caen ou commander à CNT-AIT CAEN 2 euros).

 

Jean Picard Caen le 16/06/20211.


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POUR UNE REELLE RESISTANCE DES EXPLOITES ET OPPRIMES,

POUR UNE UNITE DES LUTTES SOCIALES

 

            Depuis plus de trente ans, patronat et Etat enchaînent les plans de restructuration et appliquent la même logique : augmenter la productivité, comprimer la masse salariale, mais aussi précariser, flexibiliser et "pacifier" les salariés par la peur du chômage. À toutes ces mesures, l’Etat rajoute la réduction du salaire indirect (c’est-à-dire les aides sociales). L’écart entre les niveaux de pouvoir d’achat grandit sans cesse et produit une ségrégation qui exclut une part croissante de la population, surtout en terme de qualité (logement, santé, nourriture, éducation...). Le résultat est patent : dégradation générale des conditions de vie des salariés, et constitution d’une masse de cinq à sept millions de pauvres. Les hauts revenus croissent proportionnellement aux inégalités, avec, en prime, l’arrogance des nantis, les pratiques sécuritaires et répressives, l’absence de démocratie, le contrôle social croissant, la remontée d’idéologies réactionnaires (religions, dirigisme, darwinisme social, anti-culture, militarisme, etc.).

            Ayant poussé l’oppression sur les tous petits revenus jusqu’aux limites du supportable, la bourgeoisie concentre maintenant son bellicisme contre les couches qui ont des revenus supérieurs au SMIG, toujours suivant la même logique, en mettant en priorité (idéologie oblige) la fonction publique dans le collimateur. Pour cela, elle s’appuie sur une démagogique baisse des impôts. Malgré de confortables revenus, la grande bourgeoisie trouve la fiscalité "pénalisante", d’autant qu’elle utilise peu les services dits publics, préférant les officines privées. La moyenne bourgeoisie, dont la stupidité n’est plus à démontrer, s’en réjouit, ignorant qu’à terme, elle payera, directement et bien plus cher, des services qui sont pris en charge actuellement par l’impôt. Les pauvres se taisent, n’étant pas directement concernés par la réduction d’impôts. Or, en limitant le déficit budgétaire à 3 % et en aggravant les contraintes budgétaires par la réduction des recettes fiscales, l’Etat diminue de fait le financement du secteur public et induit une politique encore plus anti-sociale. Il crée aussi, artificiellement, les conditions du dysfonctionnement du service public ... dont il profitera pour dénoncer la mauvaise qualité, les coûts "exorbitants", le faible rendement et le je m’enfoutisme. Sournoise manœuvre qui résulte de l’application accélérée de l’AGCS (Accord Général sur les Commerces et les Services), c’est-à-dire de la mise en concurrence des services publics entre eux ou avec le privé. Public ou privé, dans tous les cas, on nous imposera de sacrifier au dogme de l’économie de marché : réduire les coûts de production pour être "compétitifs". De nouvelles dégradations des conditions de vie des salariés sont donc en perspective.                 

            Face à cette nouvelle phase de l’offensive capitaliste, la résistance populaire doit se manifester. Mais nous devons d’abord analyser ce qui nous divise.

 

Le corporatisme

 

            Pris dans une vision à très court terme empreinte d’un certain individualisme, beaucoup de salariés ne voient leur salut que dans la défense de leur statut particulier, sans réaliser qu’en agissant ainsi, ils se condamnent. Car le corporatisme, en isolant chaque secteur, loin de le protéger fait le jeu de la théorie des dominos : la chute de l’un entraîne inexorablement la chute d’un autre et ainsi de suite. Cela se passe soit directement (les 40 annuités pour la retraite, une fois imposées dans le privé, ont été imposées sans coup férir dans le public) soit, plus subtilement, de façon indirecte. En effet, dans le système économique actuel toute amélioration sectorielle de la situation des salariés (et même le simple maintien de leurs conditions) est un obstacle à l’accroissement de la compétitivité (c’est-à-dire de l’augmentation continuelle des bénéfices patronaux) et entraîne rapidement par ricochet des "ajustements" (suivant les cas : restructuration, délocalisation, déqualification...).                           

            Faute d’invariabilité de la valeur de la force de travail, toute amélioration catégorielle se retourne contre les salariés. Nous devons donc poser des revendications anti-corporatistes. Quelques pistes : revenu social, statut unique, égalité de traitement...

 

L’électoralisme

 

            On nous le dit à chaque fois : les élections seraient le moyen pour les opprimés de renverser la situation. Observons tout d’abord que les alternances gouvernementales n’ont rien produit de semblable. Abusivement présenté comme démocratique, le parlementarisme, produit de la délégation de pouvoir, favorise la démission au quotidien, déshabitue les individus de l’exercice du pouvoir politique et favorise les "spécialistes" de la politique et autres nantis. Défendre le parlementarisme, c’est accepter de se soumettre aux résultats des urnes, aux 82 % de suffrages qui ont hissé Chirac sur le pavois, c’est légitimer la politique anti-sociale qui en découle. C’est aussi attendre éternellement la "prochaine" élection pour espérer un changement, et, dans l’attente, continuer à se faire piétiner. C’est transformer la lutte sociale en champ clos de conflits entre fractions parlementaires qui, lorsqu’elles sont minoritaires se présentent comme "la" solution de rechange, avant de continuer toujours la même politique quand elles reprennent le pouvoir. Un mouvement de lutte qui chercherait à s’appuyer sur le parlementarisme ne peut que s’affaiblir et se diviser et oublierait la masse croissante d’exploités qui refuse le jeu électoral et s’abstient consciencieusement à chaque élection.                         

            Si l’électoralisme divise, l’action directe construit au contraire le rapport de force puisque, par définition, elle est l’action collective et sans intermédiaires des opprimés en lutte. L’action directe est la base originelle du syndicalisme, celle qui lui a permis, un temps, de contrer les attaques du capital. Il est grand temps de renvoyer les bureaucrates, les permanents politiques et syndicaux, les "partenaires sociaux", les élus (politiques ou professionnels), les spécialistes du paritarisme (qui participent à la gestion anti-sociale des caisses et de l’administration) aux poubelles de l’histoire. Ils ont tous amplement démontré que leur objectif n’était pas de "défendre" les salariés. Ils sont là pour encadrer, pour contrôler. La trahison des "élites" syndicales n’est pas gratuite : des milliers de permanents en vivent, grassement payés par l’Etat, les patrons et les caisses sociales. Et même leurs tous petits services sont rémunérés (par exemple, les patrons payent rubis sur l’ongle à un simple délégué du personnel des heures, dites de délégation, pendant lesquelles il n’a pas travaillé).

 

Quels types de structures ?

 

            A chaque lutte d’envergure, cette question se pose. On voit tantôt refleurir les cartels d’organisations, syndicales (derrière lesquelles on voit poindre le nez des organisations politiques), des coordinations plus ou moins préprogrammées. Comment peut-on avancer sur cette question ?                                                           

            Nous avons déjà souligné la contradiction insoluble entre ceux qui poursuivent des problématiques électoralistes et ceux qui veulent pratiquer l’action directe. Leur cohabitation est impossible dans une lutte. Il n’y a rien à discuter. Deuxième observation. Les centrales syndicales dites représentatives [1] tout comme les intersyndicales qu’elles constituent au gré de leurs besoins sont de plus en plus souvent rejetées. A juste titre. Car, à moins d’être frappé de niaiserie congénitale, tout salarié qui participe à une lutte se rend compte que les syndicats ne sont là que pour encadrer et mettre des bâtons dans les roues.

            De même, il faut être méfiant vis-à-vis de toutes les structures constituées soi-disant "pour être efficace", car, en réalité ceux qui les gèrent sont globalement les mêmes que l’on retrouve dans les partis, syndicats, conseils municipaux ou régionaux, associations... Qu’elle que soit l’étiquette sous laquelle ils se présentent à un moment donné, le but qu’ils poursuivent est toujours le même. Alors, comment faire ?

 

Fonctionnement vertical ou horizontal

 

            Notre expérience de terrain nous amène à penser que le plus efficace, ce sont des structures qui regroupent tous les individus (syndiqués ou pas) en accord avec les buts de la structure en question. Comment de telles structures doivent-elles fonctionner ?                                                                                                 

            Le mode de fonctionnement vertical (ou hiérarchique) est souvent présenté comme efficace sous prétexte que les débats démocratiques freineraient la prise de décisions. Or, une structuration verticale induit un appareil non-démocratique, des jeux de pouvoir, la quête de bonnes places au détriment des principes, la collaboration avec les bailleurs de fonds pour rétribuer les permanents, et, finalement l’institutionnalisation. Il suffit d’observer ce que sont devenus les partis et syndicats pour avoir un aperçu de cette évolution. Nous sommes loin du syndicalisme du début du siècle dernier, quand la CGT se référait à la démocratie et à l’action directe, à l’interprofessionnalisme et aux bourses du travail, à l’anti-capitalisme et à l’anti-étatisme, au rejet du militarisme, à la défense de la lutte des classes. A l’inverse, le mode de fonctionnement horizontal est, à terme, réellement efficace car il implique tous les membres dans les décisions et favorise une connaissance collective des enjeux, empêche ou rend difficile l’instrumentalisation de la lutte à des fins personnelles.                                  

            Le fait que chaque membre est à égalité de droit est réellement démocratique. L’horizontalité permet la mise en réseau des structures de résistance sans qu’aucune ne prive l’autre de ses prérogatives. Elle permet la coordination et l’action collective, favorise l’équilibration du singulier et du pluriel, harmonise l’intérêt particulier et général dans ce qu’il a d’indissociable. Ce choix du fédéralisme offre d’autres avantages en multipliant les centres de décision, il stimule l’empirisme par la multiplication des expériences puis par la sélection des plus adéquates. Il fragilise également l’attaque de l’adversaire qui tentera d’ailleurs d’amener la lutte sur le terrain du verticalisme et du centralisme, car il est plus facile de soudoyer, corrompre, réprimer, contrôler, manipuler quelques-uns que tous. Il suffit d’imaginer un mouvement de lutte dont l’unique centre nerveux serait par exemple à Paris : si le pouvoir met hors de service ce centre, quelle que soit la façon dont il s’y prenne (par la répression ou la corruption), tout s’arrête. S’il y a des centaines de centres fédérés et autonomes, c’est bien plus difficile pour le pouvoir de bloquer la lutte.

 

 

 

En conclusion

 

            Les attaques de la bourgeoisie ne rencontrent pas d’oppositions sérieuses. Les partis et syndicats de gauche ne permettent pas d’enrayer ces attaques parce qu’ils en sont complices, étant d’accord sur le fond avec les patrons. Il est temps que les exploités et les opprimés entrent en résistance, qu’ils se dotent de comités de lutte indépendants de l’État, des partis, des syndicats, qu’ils réalisent l’autonomie populaire, qu’ils avancent des revendications générales capables d’amener l’unité la plus large en rejetant le corporatisme, des revendications intercatégorielles, qu’ils associent en réseau les structures de lutte selon les bases du fédéralisme, qu’ils élaborent, face à la société bourgeoise et capitaliste, une société égalitaire et démocratique.

 

Jean Picard, novembre 2003


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QUELLE ORGANISATION REVOLUTIONNAIRE ?


Tout d’abord, précisons que, par organisation révolutionnaire, nous voulons parler de l’organisation spécifique[1] et pas de l’organisation révolutionnaire de la nouvelle société, ni même de l’organisation générale unitaire des masses en vue de la révolution.

Ceci étant dit, une organisation révolutionnaire se doit, si elle veut accomplir les tâches qui sont les siennes[2], de tirer les leçons des expériences de luttes passées, de les analyser de manière critique et constructive. Le mouvement social a exploré plusieurs voies censées aboutir à la transformation de la société, à la disparition de l’exploitation capitaliste, au socialisme : le parlementarisme, le syndicalisme réformiste et le léninisme.

Ces voies mènent à l’échec et cela est loin d’être nouveau.
Le parlementarisme mène à l’électoralisme, c’est
-à-dire la recherche d’un électorat le plus important

possible, donc à l’abandon des principes révolutionnaires susceptibles d’effrayer les bons électeurs. C’est un leurre. Changer la société, c’est plus compliqué et plus dur que d’aller déposer un bulletin de vote dans une urne. Qui plus est, un coup d’Etat[3] peut venir stopper à tout moment un parlement qui serait un peu trop progressiste selon les classes dominantes.

Le syndicalisme réformiste, cantonné à des revendications strictement matérielles[4] dans le cadre du système capitaliste, est incapable d’être un instrument d’émancipation réelle des exploités. Rapidement bureaucratisé, ce type d’organisation syndicale cherche - et arrive en général - à s’institutionnaliser, à devenir un interlocuteur reconnu par l’Etat et le patronat. Les notions de « crédibilité », de « réalisme », de « modernisme » sont alors mises en avant et servent à couvrir les pires saloperies. La collaboration de classe s’installe (et les travailleurs en font les frais) ! Car les syndicats ne cherchent pas à supprimer l’exploitation mais à négocier avec les capitalistes le degré de celle-ci.

Les organisations léninistes se définissent comme avant-gardistes. Elles avancent l’idée fausse que la direction de la lutte révolutionnaire doit être entre les mains d’un parti révolutionnaire « d’élite », extrêmement centralisé et censé détenir la science infuse. Porté par les masses « incapables de s’émanciper par elles-mêmes », le parti d’avant-garde instaure « la dictature du prolétariat » et s’empare de l’Etat afin d’organiser le socialisme. Dans les faits, ce type de vision aboutit à la confiscation de la révolution par le parti d’avant-garde. Il s’érige ainsi en nouvelle classe exploiteuse au moyen du contrôle de l’appareil d’Etat et de l’économie nationalisée ; à la fusion entre le parti et l’Etat ; à la dictature du parti sur le prolétariat et à l’Etat policier.

Parlementarisme et syndicalisme réformiste mènent tous les deux à la collaboration de classe et à l’abandon de la perspective révolutionnaire. Le résultat : l’intégration des partis politiques de gauche et des syndicats réformistes au système capitaliste et étatique. Il en fait des instruments de contrôle social, de déresponsabilisation des masses, d’encadrement et d’étouffement des luttes.

Le parlementarisme, le syndicalisme réformiste et le léninisme ont tous les trois un point commun : leur mépris pour les masses. En effet, pour eux, celles-ci sont incapables de s’auto-émanciper, d’analyser les situations et de définir un projet de société clair.

Les masses, telles un troupeau de moutons, ont besoin d’un berger. Elles sont invitées à voter pour les bons politiciens qui parleront et décideront pour elles, les gentils élus syndicaux qui les représenteront auprès des patrons. Les autres, qui se prennent pour « l’élite révolutionnaire », rêvent de contrôler et de diriger les luttes. Partout, on retrouve les pratiques de délégation de pouvoir, les phénomènes de bureaucratisation, l’idée que les masses ne sont bonnes qu’à suivre les slogans, qu’il leur est impossible de s’auto-organiser et de s’auto-diriger. Pourtant...

A chaque fois que des situations révolutionnaires (commune de Paris en 1871, communes révolutionnaires espagnoles de 1873, soviets russes de 1905 et 1917, conseils ouvriers allemands en 1918-19 et italiens en 1920, révolution espagnole en 1936, etc.) ou des avancées sociales importantes (1936 et 1968 en France) ont vu le jour, elles furent le résultat de l’auto-organisation et de l’action directe des masses, non celui des consignes des partis et des syndicats, même si certains d’entre eux participèrent parfois activement au mouvement. Parfois, les masses, si décriées par certains, se trouvent bien plus avancées que les éternels guides censés les représenter.

Parlementarisme, syndicalisme réformiste et léninisme mènent à tout, sauf à la révolution sociale. Ils ne peuvent en aucun cas être considérés comme des moyens révolutionnaires. Ils constituent de fait des obstacles au développement des capacités révolutionnaires des masses, elles qu’ils cherchent en permanence à utiliser pour satisfaire leurs ambitions et leur soif de pouvoir ou préserver le statu quo social[5]. Ils n’ont jamais amené la suppression de l’exploitation, de l’oppression et de l’exclusion.

Un siècle et demi après la création de la première Internationale[6], il faut encore, malheureusement, rappeler que « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». La révolution ne pourra être que le résultat de l’action déterminée, consciente et coordonnée des masses. C’est à elles, et à elles seules, qu’il revient d’essayer l’expérience et la concrétisation du projet communiste.

Partant de là, une organisation ne peut être révolutionnaire que si elle est clairement rupturiste ; c’est-à- dire qu’elle se doit de rejeter toute forme de parlementarisme[7] : les élections syndicales et politiques, la cogestion et la prétention à représenter les masses, etc.

De plus, elle doit rejeter toute idée de séparation du « politique » et du « social », le « politique » étant censé revenir aux partis et le « social » aux syndicats, ce qui constitue, à notre avis, une vision étriquée des choses. Nous pensons qu’une telle séparation[8] ne peut qu’être un frein au développement des capacités de résistance des exploités. Admettre cette séparation artificielle revient à reconnaître que la possibilité de faire changer les choses réside dans l’action des partis politiques et des syndicats réformistes et non dans l’auto- organisation des masses.

L’organisation révolutionnaire ne peut se concevoir que comme une organisation globale, fusionnant en son sein les luttes politiques et les luttes sociales, contre un système d’exploitation lui aussi global. Tous les problèmes étant liés, rien ne doit être étranger à notre forme très particulière de syndicalisme.

Sur le plan de son fonctionnement, l’organisation révolutionnaire se doit également de rompre avec l’idée léniniste du centralisme. A l’opposé, elle doit promouvoir une forme d’organisation décentralisée et fédéraliste, étant entendu que le fédéralisme consiste à traiter collectivement de tout ce qui concerne l’organisation, ses orientations théoriques et pratiques et n’a rien à voir avec l’autonomie. Le fédéralisme vise à avancer ensemble, l’autonomie revient, elle, le plus souvent à pouvoir faire tout et n’importe quoi sans avoir de comptes à rendre aux autres structures de base. Elle aboutit le plus souvent au nombrilisme et à l’isolement.

Les hommes et les femmes qui composent l’organisation doivent également veiller constamment à ce qu’aucun phénomène de bureaucratisation ne gagne celle-ci. Un fonctionnement fédéraliste clair doit garantir la position d'un pouvoir décisionnel dans les structures de base ; les instances administratives nommées ne doivent avoir qu’un rôle exécutif ; la fermeté en ce qui concerne les principes de fond (fédéralisme, rupturisme, globalisme, lutte des classes...), la cohérence entre la pensée et la pratique minimisent mais n’éliminent pas les risques de dérive bureaucratique et réformiste.

Vaille que vaille, la CNT-AIT est aujourd’hui, en France, une des rares[9] organisations révolutionnaires à être à la fois anti-bureaucratique, rupturiste, globaliste et à avoir une pratique sociale, certes limitée mais réelle.

La CNT-AIT ne participe à aucune mascarade électorale destinée à légitimer le système. La CNT-AIT est décentralisée et fédéraliste.
La CNT-AIT est la « propriété » des structures qui la composent.
La CNT-AIT est à la fois politique et sociale.

La CNT-AIT est en même temps anarchiste et syndicaliste[10].

Des luttes, oui ! Mais pas seulement dans les entreprises. Il faut résister dans les quartiers, les facultés et les lycées. Il faut chercher, à terme, à être présents dans l’ensemble du champ social. Des luttes, oui ! Mais des luttes autogérées, à caractère intercorporatiste, qui avancent des revendications unifiantes, refusent la division des travailleurs par le biais de la hiérarchie des salaires et des statuts, font avancer l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, les français et les immigrés, dépassent le cadre salarial et réformiste pour déboucher sur la critique politique du système, la solidarité active de toutes et tous, la convergence des masses vers un objectif : le communisme libertaire.

Rôle de l’organisation révolutionnaire

L’organisation révolutionnaire ne doit pas avoir pour vocation de contrôler les luttes, de diriger et d’encadrer les masses en mouvement. Elle n’a pas non plus à prétendre les représenter, parler et penser pour elles. En bref, elle n’a pas à tenter de se substituer à elles.

A notre avis, ce qu’elle doit chercher, c’est leur autonomisation. Son rôle est d’essayer d’aider les masses à se prendre en charge par et pour elles-mêmes. L’important est qu’elles arrivent à auto-organiser et autogérer leurs luttes, qu’elles en aient collectivement la maîtrise. Si l’organisation révolutionnaire participe et aide au démarrage de ces luttes, mais elle n’a pas à en prendre la direction ; ces luttes sont la propriété de celles et ceux qui les vivent (qui luttent).

L’organisation révolutionnaire a un rôle de conseil et d’animation. Elle est là pour aider les gens à lutter, les faire profiter de son expérience du combat social et, surtout, pour tenter, par la propagande et la discussion dans les AG, les manifestations et les occupations, de donner du sens à ces luttes.

Les tâches de l’organisation révolutionnaire sont multiples : - expliquer la nature, le fonctionnement, la logique du système[11] et dénoncer ses innombrables méfaits ; - expliquer et promouvoir l’auto-organisation et l’autogestion des luttes, l’action directe et la démocratie directe

comme étant les seules voies de l’émancipation ; - dénoncer, combattre les délires médiatiques et les magouilles politiciennes, le corporatisme, le nationalisme, le fascisme, le sexisme, etc. ; - donner aux luttes une perspective plus large, c'est-à-dire le dépassement idéologique et pratique du système socio-économique actuel ;

- proposer et affiner un projet de société qui puisse constituer une alternative viable au capitalisme et expliquer clairement ce qu’implique[12] la volonté de concrétiser ce projet ; -

contribuer à développer la solidarité active et consciente des exploités là où se trouve l’oppression[13] ; combattre la répression patronale et/ou étatique ; -

aider, au sein de la population laborieuse, au développement d’une contre-culture, d’une culture de lutte utile à sa défense quotidienne, rejetant les conceptions politiques et morales bourgeoises, c’est-à-dire aider peu à peu au développement d’une résistance, d’une dissidence, d’une désobéissance civile résolue et massive ; - construire les bases logistiques d’une contre-société[14] ; il s’agit de bâtir, en parallèle à la vieille société capitaliste, les bases de la société future... Ces tâches sont immenses. Si l’organisation prétendait les réaliser uniquement par elle-même, elle ne pourrait les mener à bien. En fait, elle se doit d’expliquer ces tâches et d’œuvrer au sein des masses à leur réalisation. Structure de lutte, lieu de culture, de formation militante et d’analyse sociale, réseau d’information et de solidarité, lieu convivial : l’organisation révolutionnaire est tout cela à la fois. Mais elle n’est pas une fin en soi. Il faut la concevoir essentiellement comme un outil social, qui a pour but fondamental le développement de l’autonomie populaire, qui seule pourra peut-être un jour amener un changement social en profondeur.

Autonomie populaire : une nécessité

On peut voir se profiler dans les nombreuses tâches énumérées un peu plus haut, ce que nous entendons par « autonomie populaire » et par quoi passe le développement de cette dernière.

L’autonomie populaire est la capacité toujours plus affirmée et confirmée des masses à s’auto-organiser, à s’auto-défendre contre les iniquités produites par le capitalisme, à autogérer leurs luttes[15], à s’auto-représenter et à promouvoir un projet révolutionnaire.

Elle seule peut permettre la libération de la formidable puissance sociale qui réside potentiellement dans les masses exploitées. C’est dans l’autonomie populaire que réside la clé d’une révolution sociale authentique, constructive et libératrice, et il n’y a que dans et par la lutte sociale, la résistance quotidienne et multiforme au capitalisme que l’autonomie populaire pourra se construire et qu’elle en arrivera un jour, souhaitons-le, à se nourrir de sa propre nécessité.

Elle ne pourra être que le résultat d’un long processus social fait de phases d’avancée et de recul. Le plus important pour les masses est alors leur capacité à capitaliser et à transmettre les connaissances théoriques et pratiques acquises par l’expérience. Quoi qu’il en soit, c’est à son propre perfectionnement et renforcement, en tant qu’outil social, ainsi qu’à ce processus d’autonomisation des masses, que doit travailler l’organisation. Elle se doit de contribuer à l’apparition et au développement de ce processus et, également, de tenter de l’orienter le plus clairement possible dans la voie de la révolution sociale. Elle ne pourra pas faire cela par la magouille, la manipulation et la récupération. Elle devra convaincre et montrer l’exemple. Notons, au passage, que le travail de l’organisation visant à l’autonomisation des masses n’est pas du tout incompatible avec le fait qu’elle puisse atteindre elle-même, au bout d’un certain temps, un caractère massif. Si l’organisation révolutionnaire se révèle être un outil efficace et utile aux masses durant les luttes, une partie de celles-ci viendront en toute logique la renforcer. Les masses nourriront l’organisation en même temps qu’elles se nourriront d’elle. C’est à travers les comités de grève (ou de lutte[16]) auto-organisés et autogérés que prend forme l’autonomie populaire. Evidemment, ça n’exclut pas la participation des organisations syndicales à ces luttes, mais cela empêche la prise de contrôle des mouvements par ces dernières. Le pouvoir, c’est dans ces AG de lutte qu’il sera, là où se retrouvent pêle-mêle syndiqués et non-syndiqués[17], là où peut se réaliser la seule unité valable : l’unité dans la lutte directe contre l’Etat et le patronat. Etant bien entendu que, pour nous, « unité » ne signifie pas « uniformité » dans le discours et la pratique.

Des comités de lutte ou de grève aux conseils ouvriers :

Les comités de lutte ou de grève sont à la fois un lieu d’auto-éducation et un moyen de défense face à l’exploitation capitaliste.

Mais en cas de situation révolutionnaire, les tâches de ces comités seront amenées à changer. D’instruments de lutte, ces comités en viendront - peut-être, si la situation le permet - à se muer en conseils ouvriers, c’est à dire en instruments de réorganisation sociale, amenés, en tant que tels, à se positionner et à agir concrètement par rapport aux problèmes de remise en route de l’économie sur des bases communistes, de l’organisation de la vie démocratique dans la cité et/ou de la défense armée de la révolution, etc.

Cette transformation des comités de lutte en conseils ouvriers est somme toute logique. L’autonomie populaire se développe et se renforce dans les comités de lutte ou de grève puis, lorsque le rapport de force le permet, les masses tentent la révolution, mais elles la tentent justement à partir de leurs instruments de lutte : les comités de lutte ou de grève ! Confrontés à de nouvelles tâches[18], ils changent nécessairement de nature afin de s’adapter et de répondre aux urgences de la situation vécue. 

Les conseils ouvriers peuvent être considérés comme l’expression organique de l’autonomie populaire, les instruments de l’émancipation des masses et de la transformation de la société. Les conseils ouvriers constituent fondamentalement l’auto-représentation vivante et évolutive des masses.

L’organisation révolutionnaire se doit d’intervenir dans ces conseils de la même manière que dans les comités de lutte ou de grève. Elle n’a pas à assumer la direction de la lutte révolutionnaire. Elle se doit seulement d’être au sein de cette lutte (et des masses qui la mènent) une force de proposition, un aiguillon sur le plan théorique et, surtout, sur le plan pratique.

Il s’agit pour nous d’indiquer la direction, pas de s’en emparer. Là encore, et plus que jamais en fait, il s’agira de convaincre... et de construire.

La révolution sociale ne pouvant être que le fait des masses et non celui d’une organisation, cela implique l’abandon de l’idée que les syndicats peuvent constituer les fondements de la réorganisation sociale. Celle-ci ne pourra être que le résultat de l’activité révolutionnaire consciente, déterminée et autonome des masses : les conseils ouvriers[19] et de quartiers, de facultés.

Evidement, on peut raisonnablement penser qu’une situation révolutionnaire semblable à celle de 1936 en Espagne, où la CNT était dans une multitude d’endroits en position hégémonique, a peu de chances de se reproduire. L’Etat tapera avant. Bien sûr, on ne peut pas l’affirmer avec une totale certitude. Quoi qu’il en soit, que la révolution sociale libertaire se fasse par le biais des conseils de travailleurs ou par le biais d’une organisation spécifique de masse, l’important est qu’elle se fasse.

Jean Picard 1994

[1]C’est-à-dire ayant ses théories et pratiques propres au sein du mouvement social. [2]Et dont il sera question plus loin.
[3]
Et ce qui s’en suit : loi martiale, etc.
[4]Importantes mais pas suffisantes.

[5]Où ils sont si bien installés.

[6]L’Association Internationale des Travailleurs.

[7]La collaboration de classe.

[8]Et ce qu’elle sous-entend.

[9]Sinon la seule.

[10]Anarchosyndicaliste.

[11]Capitaliste et étatique.

[12]Au niveau pratique.

[13]C’est à dire partout.

[14]Coopératives égalitaires, squats autogérés, caisses de résistance, comités de quartiers, librairies et athénées, radios et revues alternatives.

[15]Et donc quelque part leur propre futur.
[16]Dans les quartiers par exemple.
[17]Chômeurs, étudiants et travailleurs pour ce qui est des comités de quartier. [18]
L’organisation de l’autogestion, par exemple.
[19]Ou les conseils de travailleurs. 


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